DEBOUT
Il faut que le monde se réveille, il a dormi trop longtemps d’un sommeil égoïste. Les bateaux aux voiles vermeilles doivent fuirent les vagues écarlates. Le vent doit gonfler les blés aux reflets bringés de notre enfance. La lune doit cesser de tourner sans raison : elle me fait perdre la tête ! La lumière sait qu’elle ne doit plus éclairer le ballet désarticulé de nos vies tristement humaines.
Mais qui donne encore ces ordres ? Qui commande au monde de rouler moins vite ? J’ai été de ces hommes qui se drapaient d’orgueil. On croyait que nos vies sacrifiées pour des combats d’inutilités brilleraient un peu plus, se perdraient un peu moins. Mais nous ne sommes que des funambules unijambistes, aveugles et tremblotants sur un fil tendu comme un sourire pervers.
Alors nous jouons à nos vies, nous leur donnons une texture, une saveur, des odeurs qui nous enivrent, une importance qui nous fait frémir. On savoure pour un temps ce songe réifié, mais des rivières de pourquoi nous submergent déjà. On s’accroche à l’amour cette bouée du dernier secours, mais elle sombre avec nous dans l’abîme, le néant.